Découverts par hasard en 2011 par Christine Pergent-Martini et son équipe à l’occasion d’une mission en mer de prospection topographique dont le but initial était d’étudier les organismes vivant au large du Cap-Corse, par 120 m de fond (Bonacorsi et al., 2012, 2013).
Des cercles, tous quasiment identiques, d’environ 24 m de diamètre apparaissent petit à petit sur les écrans du navire, des structures alors inconnues des chercheurs. 1400 sont dénombrés au total sur une surface d’environ 15 km2.
Images obtenues lors de la prospection topographique sonar obtenues par Christine Pergent-Martini et son équipe en 2011. Image tirée du documentaire Cap Corse, le mystère des anneaux | ARTE.
L’expédition Gombessa 6, menée par Laurent Ballesta, plongeur, photographe naturaliste et réalisateur de documentaires est organisée en collaboration avec Andromède Océanologie, le Parc Naturel Marin du Cap Corse et de l'Agriate et l’Université de Montpellier. Ce sont au total trois sorties en mer, quatre bateaux et deux sous-marins qui sont mobilisés entre 2021 et 2023 pour des dizaines d’heures de plongée, afin de comprendre la nature et l’origine de ces anneaux. Les échantillons récoltés ainsi que les observations réalisées sont en ce moment étudiés dans près de quarante laboratoires internationaux par des chercheurs interdisciplinaires.
Ces anneaux sont constitués d’éléments coralligènes (des organismes vivants fabricant une structure calcaire) : des algues corallines (Mesophyllum expansum et Lithophyllum stictiforme) et abritent une grande biodiversité qui semble s’être adaptée à ce milieu si particulier (e.g. gorgones Callogorgia, porcelaines, poissons, oursins et étoiles de mer). Leur structure en forme de léger dôme comporte un noyau central (1 à 2 m de diamètre et 0,2 à 0,5 m de haut, parfois érodé) fait de bioconcrétions d’algues coralligènes massives, une auréole intermédiaire, constituée de débris biogènes et algues coralligènes vivantes, et d’une couronne périphérique (de 1 à 3 m de large), constituée d’algues calcaires libres (des rhodolithes) et d’invertébrés (éponges, bryozoaires et echinodermes). Ces petites structures d’algues coralligènes de formes rondes grandissent tout doucement et se sont accumulées en périphérie des anneaux en suivant la pente douce qui mène du cœur aux bords.
Représentation schématique des structures coralligènes
D’après les datations effectuées sur les échantillons, la piste climatique (et paléoclimatique) semble aujourd’hui la plus probable. En effet, au cours des derniers milliers d’années, le climat de la Terre a connu de nombreuses fluctuations. Des cycles glaciaires-interglaciaires se sont succédés avec une périodicité de 100 000 ans (Lisiecki and Raymo, 2005; Petit et al., 1999). Lors du dernier maximum glaciaire, il y a 21 000 ans, le niveau de la mer se trouvait environ 120 m plus bas que le niveau actuel (Bard et al., 1990; Benjamin et al., 2017). Ceci signifie que les anneaux aujourd’hui observés se trouvaient alors très près de la surface.
Des coraux ont d’abord commencé à se développer à quelques dizaines de mètres de profondeur lors du dernier maximum glaciaire, il y a 21 000 ans. Ils se sont implantés spécifiquement à cet endroit car le plancher marin contient des roches magmatiques très anciennes, entrecoupées de failles et de reliefs, héritages de l’histoire tectonique de la région il y a entre 15 et 30 millions d’années. Avec l’érosion et l’infiltration d’eau de mer, cette roche magmatique s’altère, devient de la serpentinite et de l’hydrogène se dégage, pouvant se transformer en méthane et s’échapper à la surface du sédiment sous-marin. Des réactions biochimiques conduisent alors à la formation de structures solides à la surface du sédiment favorisant l’implantation et le développement des algues coralligènes. Se retrouvant coincés sous la surface de la mer, ils ont alors commencé à se développer en largeur, suivant une forme circulaire, et ont grandi jusqu’à il y a 18 000 ans. À ce moment là, la montée brutale du niveau de la mer avec la déglaciation stop leur croissance et engendre de l’érosion. Les conditions paléoclimatiques sont complexes, les courants tumultueux et les changements de température intenses. Lorsque les conditions se stabilisent à nouveau à la fin de la déglaciation et de la montée du niveau marin, il y a environ 8 800 ans, les coraux croissent à nouveau jusqu’à aujourd’hui.
Représentation schématique de la formation des anneaux au cours du temps
Des coraux se développant en pleine période glaciaire alors que l’Europe était en grande partie recouverte par des glaciers ? On sait aujourd’hui que des coraux naissent et grandissent en dehors des zones tropicales. Il en existe même certains se développant dans des environnements polaires (Roberts et al., 2006).
D’autres articles, comme celui de Verlaque and Boudouresque (2024) avancent l’hypothèse de bombes larguées lors de la seconde guerre mondiale dans la zone. Cette hypothèse est hautement improbable. Tout d’abord aucune bombe n’a été retrouvée à la surface du sédiment, les cercles ne sont pas des cratères mais ont au contraire une forme bombée, et la publication avance une incohérence notable, mentionnant que les structures seraient dues à l’explosion des bombes alors que toute la première partie de l’article mentionne un largage massif de bombes désamorcées. Enfin, le site ne montre aucun signe de perturbation stratigraphique et le cœur des coraux est daté à 21 000 ans.
Bibliographie
Documentary Cap Corse, le mystère des anneaux | ARTE, available from April 26th 2025 to August 3rd 2027, Laurent Ballesta and Yann Rineau, https://www.youtube.com/watch?v=R3-1cWGykvk (last visit June 5th 2025).
IMBE Live, Edouard Bard conference, April 30th 2025, https://tv.imbe.fr/la-derniere-deglaciation-et-ses-implications-pour-letude-de-la-grotte-cosquer-et-des-anneaux-de-coralligene-du-cap-corse/ (last visit June 5th 2025).
Bard, E., Hamelin, B., and Fairbanks, R. G.: U-Th ages obtained by mass spectrometry in corals from Barbados: sea level during the past 130,000 years, Nature, 346, 456–458, https://doi.org/10.1038/346456a0, 1990.
Benjamin, J., Rovere, A., Fontana, A., Furlani, S., Vacchi, M., Inglis, R. H., Galili, E., Antonioli, F., Sivan, D., Miko, S., Mourtzas, N., Felja, I., Meredith-Williams, M., Goodman-Tchernov, B., Kolaiti, E., Anzidei, M., and Gehrels, R.: Late Quaternary sea-level changes and early human societies in the central and eastern Mediterranean Basin: An interdisciplinary review, Quaternary International, 449, 29–57, https://doi.org/10.1016/j.quaint.2017.06.025, 2017.
Bonacorsi, M., Pergent-Martini, C., Clabaut, P., and Pergent, G.: Coralligenous “atolls”: Discovery of a new morphotype in the Western Mediterranean Sea, Comptes Rendus. Biologies, 335, 668–672, https://doi.org/10.1016/j.crvi.2012.10.005, 2012.
Bonacorsi, M., Pergent-Martini, C., Clabaut, P., Damier, E., Bréand, N., Marengo, M., and Pergent, G.: Caractérisation des peuplements benthiques du Cap Corse, 84–88, 2013.
Lisiecki, L. E. and Raymo, M. E.: A Pliocene-Pleistocene stack of 57 globally distributed benthic δ18O records, Paleoceanography, 20, PA1003, https://doi.org/10.1029/2004PA001071, 2005.
Petit, J. R., Jouzel, J., Raynaud, D., Barkov, N. I., Barnola, J.-M., Basile, I., Bender, M., Chappellaz, J., Davis, M., Delaygue, G., Delmotte, M., Kotlyakov, V. M., Legrand, M., Lipenkov, V. Y., Lorius, C., PÉpin, L., Ritz, C., Saltzman, E., and Stievenard, M.: Climate and atmospheric history of the past 420,000 years from the Vostok ice core, Antarctica, Nature, 399, 429–436, https://doi.org/10.1038/20859, 1999.
Roberts, J. M., Wheeler, A. J., and Freiwald, A.: Reefs of the Deep: The Biology and Geology of Cold-Water Coral Ecosystems, Science, 312, 543–547, https://doi.org/10.1126/science.1119861, 2006.
Verlaque, M. and Boudouresque, C. F.: The enigmatic coralligenous atolls of northern Corsica: possible scars from World War II, Scientific Reports of Port-Cros National Park, 38, 165–181, 2024.
Juin 2025